«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

mardi 22 décembre 2009

La vitesse c'est la durée, la durée c'est du temps et le temps c'est Dieu.


Mahler symphonie n°2.


Orchestre symphonique de Chicago; Miah Phersson, soprano; Christianne Stotijn, mezzo et Bernard Haitink chef d'orchestre.


CSO-RESOUND CSOR 901916.



Quand le public applaudit après l'exécution d'une oeuvre, est-ce qu'il applaudit l'oeuvre, la version de cette oeuvre qu'il vient d'écouter ou les musiciens qui ont fait de cette exécution une soirée qui restera à jamais gravée dans la mémoire collective.
Pour clarifier la réception de ces applaudissement, lors d'une soirée après le dernier mouvement de la 5è symphonie de Mahler, le chef d'orchestre Bernard Haitink, souleva la partition qu'il venait de traduire, pour écouter un autre type de musique. En fait il voulait éprouver l'émotion de voir comme tout le théâtre Colon de Buenos Aires applaudissait, sifflait et criait pour remercier Mahler de son chef d'oeuvre.
Pour l'enregistrement qui nous occupe dans cette chronique, on retrouve le même chef, mais presque 20 ans plus tard et avec une toute autre orchestre.
Est-ce que la 2è symphonie de Mahler est un chef d'oeuvre? Si on la compare à tout ce qui a été écrit après, je croirais que oui.


Totenfeier.


La mort dans l'oeuvre mahleriènne, est omniprésente. Elle occupe une grande partie de la structure de la symphonie, mais surtout, elle donne une raison d'être à son discours. Chez Mahler, la mort est toujours un point de départ, parfois pour nous mener à un aboutissement en forme de résurrection.


Laendler.


Il y a chez Mahler un côté folklorique viennois. Pour lui ce n'est pas les grandes valses des cours européennes, mais ces petites danses campagnardes à saveurs populaires.

Lied Saint Antoine de Padoue prêche aux poissons.


Là se trouve l'essence du discours mahlerien. Voix et accompagnement, parfois chanté parfois non, c'est ce qui structure sa pensée, mais également sa réserve d'inspiration. C'est une espèce de base qui l'attache à l'amour, un refuge où revenir après des voyages tourmentés.


Ulricht.


La rose entre deux abîmes. La plaque tournante de la symphonie, toute la tension qui se concentre pour l'explosion finale. C'est son Dieu qui parle.


Résurrection.


L'orchestre nous prépare à un finale comme on a rarement écouté jusqu'alors. Il va mourir pour vivre. En effet il s'immole.

Le défit de toute tâche mahleriènne, c'est de pouvoir maintenir l'équilibre, ce qui est très difficile à obtenir, puisque le discours du compositeur nous propose des messages, très messianiques tout en restant un discours d'ordre névrotique.
C'est ce qui donne la force à cette version de Haitink. Comment arrive-t-il à faire cela?
En travaillent sur la vitesse des morceaux, en donnant la sensation, que l'angoisse, l'amour, la mort et la vie, ainsi que tous les états d'âmes, peuvent se contrôler à partir d'une gradation du temps. La vraie clef de l'oeuvre se trouve dans la vitesse du discours. La vitesse c'est la durée, la durée c'est le temps, et le temps c'est Dieu.

mercredi 2 décembre 2009

Liszt ou le pèlerinage d'un artiste.



Franz Liszt
Annés de Pèlerinage I
Sonate pour piano en si mineur.
Michael Korstick
CPO 777478-2


S'aventurer dans l'œuvre de Liszt n'est pas chose facile à faire. Ses œuvres posent toujours le même problème, jusqu'où la vision de l'artiste interprète devra arriver?
Car le compositeur lui même s'est posé la question il y a en peut plus de 150 ans. La formule « il faut laisser les œuvres parler par elles mêmes » peut être valable pour beaucoup de musiciens, come Haydn ou Mendelssohn. Mais est-ce le cas pour celles de Liszt? Je ne pense pas que Liszt lui même fut d'accord avec cette théorie.


Il faut comprendre que ce type de compositeur appartient a une classe à part dans le monde de la musique. Il pourrait facilement se ranger avec Monteverdi, Beethoven, Debussy et Ligeti.
Ce sont des musiciens de transformation, de passage, de quête et de conquête d'espaces nouveaux différents et évidement plus modernes.


Le cas de Liszt est paradoxal. Son devoir fut de nous transporter de la Hamerklavier de Beethoven jusqu'aux dernières de ses pièces pour piano tout à fait a-tonales. Mais nécessairement il fallait passer par les années de pèlerinages, et surtout par sa sonate pour piano.


En quoi la contribution de Liszt a été si importante pour la musique? Et bien, derrière le masque d'interprète génial, reconnu et adoré par tous ses contemporains, se cache un compositeur intelligent et de premier ordre. Et simplement pour souligner cela, je pourrais dire qu'avec les années de pèlerinages, Liszt a ouvert la voie au deux courants majeurs de la fin du XIX et début du XX siècle dans l'évolution de la musique classique.


D'un côté c'est lui qui a mis au point toute l'esthétique harmonique que Wagner va adopter, mais c'est aussi avec ce cycle de pièces pour piano, que l'impressionisme de Debussy et de Ravel vont trouver leur source. Cela veut dire que, comme Beethoven, le compositeur et l'artiste vont surpasser leur époque et vont aussi élargir la tonalité jusqu'aux dernières limites.

L'interprétation de Michael Korstick, est tout à fait en concordance avec l'idée que l'artiste a aussi un rôle plus qu'important a jouer. Il est le seul responsable de faire passer le message écrit par le compositeur. En réalité c'est même plus important! Car à différence des autres arts, la musique a toujours besoin de quelqu'un pour la jouer. Cette dépendance entre l'œuvre et l'artiste en fait sa force et sa faiblesse.

Les sommets de l'interprétations qu'on peut écouter dans ce disque ne sont pas négligeables, ce qui permet de le placer au côté des grandes versions d'un Arrau, Berman ou même Horowitz.
Même on pourrait penser que dans la sonate pour piano, Korstick tient le rôle de Charon dans un voyage métaphysique que tout âme doit faire pour arriver au stade dit « supérieur ».
Evidement que tout cela est très subjectif, et difficile à prouver, mais une telle approche artistique serait impossible à faire, si on a pas un artiste qui contrôle tous ses moyens techniques en les mettant au service d'une partition.

Cpo 777478-2

Philippe Adelfang

Twin Spirits: un portrait de l'amour entre Robert et Clara Schumann

Trudie Styler (dans le rôle de Clara Schumann)
Sting (dans le rôle de Robert Schumann)
Derek Jacobi (narrateur)
Rebecca Evans, soprano
Simon Keenlyside, baryton
Sergej Krylov, violon
Natalie Clein, violoncelle
Natasha Paremski, piano
Iain Burnside, piano
John Caird, conception et mis en scène
Opus Arte OA 0994 (2 DVD)
Narration en anglais avec sous-titres en français, allemand, espagnol et italien

Le Royal Opera House a été le lieu d'une mise en scène tout à fait originale et pertinente. Deux groupes, un masculin, l'autre féminin, et un narrateur rendent hommage à l'un des couples mythiques du romantisme musical: Robert et Clara Schumann. On y raconte, par un récit bien ficelé et des extraits de lettres et de leur journal de mariage, les hauts et les bas de leur tumultueuse relation: leur liaison secrète, leur combat pour pouvoir se marier, leur vie de couple, de famille et d'artistes, les épreuves causées par la maladie de Robert, et, non des moindres, la fidélité de Clara après la mort de son mari.
Dans le clan de Robert, il y a Sting, accompagné du baryton, du violoniste et d'un pianiste, qui lit des passages de lettres qu'il avait adressées à Clara. De l'autre côté de la scène, il y a l'actrice Trudie Styler, côtoyée de la soprano, de la violoncelliste et de la pianiste, qui cite les lettres que Clara avait adressées à Robert. Cet échange de correspondance est parsemé de lieder et de pièces pour piano, surtout de Robert, soit des oeuvres tirées du Carnaval op.9, des Kinderszenen op.15, des cycles de lieder Dichterliebe op. 48 et Zwölf Gedichte, op. 35, une des trois Romances de l'opus 94. Mais nous avons droit à quelques belles surpises telles que deux superbes lieder de Clara Es ist gekommen in Sturm und Regen op.12 no. 2 et Sie liebten sich beide op. 13 no. 2 et une romance tirée de son concerto pour piano op. 7.
On entend aussi l'adagio des variations de Chopin sur le duo célèbre de l'opéra Don Giovanni de Mozart, La ci darem la mano. Et un peu plus loin, le duo lui-même avec piano. On y apprend que les variations de Chopin faisaient partie d'une "proposition mystique" imaginée par Robert, un moyen aux deux âmes séparées de se retrouver par la pensée durant l'interdiction du père de Clara suite à la demande en mariage. Le drame se termine dans une fougueuse apothéose du mouvement final (Mit Feuer - avec feu) du Trio no. 1 en ré mineur.
Tous les musiciens donnent une prestation fort réussie quoique je déplore un peu chez la pianiste et la violoncelliste certains effets de pose pour la caméra que l'on pourrait excuser comme erreurs de jeunesse. Bien sûr, rien au disque n'y paraîtrait et leur talent n'en serait point diminué.
Le passage le plus émouvant fut la lecture d'une lettre de Clara aux derniers jours de Robert. Les larmes nous viennent aux yeux en même temps que l'actrice. Dans le deuxième DVD, on apprend pourquoi: elle-même épouse de Sting, elle a projeté le sentiment de Clara sur sa personne; on ne peut la blâmer de cette sincérité.
Le deuxième DVD comporte cinq parties. La première consiste en une galerie de photos des artistes lors des répétitions; j'aurais apprécié que l'on ajoute des images de Robert et Clara. La deuxième partie se subdivise en quatre entrevues: instrumentistes; chanteurs et narrateur; acteurs; et le musicologue Daniel Gallagher. J'ai beaucoup aimé le commentaire perspicace du violoniste sur la densité de l'écriture de Robert Schumann. La troisième partie, nettement la plus instructive, nous vient du conservateur du musée Schumann à Zwickau. Il nous informe de manière éclairante sur plusieurs aspects de la vie des Schumann. La quatrième partie est une chronologie avec des couleurs permettant d'identifier ce qui appartient à Robert ou à Clara ainsi que certains événements indépendants d'eux. La typographie aurait dû être améliorée pour faciliter la lecture. La cinquième partie fait la promotion des projets éducatifs et communautaires associés au Royal Opera House grâce à trois témoignages sympathiques et dont devraient s'inspirer nos gouvernements.
En somme, cette production rend justice à une dramatisation qui pourrait aisément servir de modèle dans la conaissance approfondie que nous apportent des sources directes telles les correspondances et les journaux intimes des grands artistes. Et ce ne sont pas les sujets qui manquent.
Guy Sauvé