«Chaque artiste crée ses précurseurs. Son travail modifie notre conception du passé autant que celle du futur». Jorge Luis Borges

mardi 30 novembre 2010

Marc Hervieux à L'Archambault Laval

Le célèbre ténor québécois Marc Hervieux a fait une séance de signature de disques et posters à L'Archambault Laval samedi dernier.
Ce fut non seulement l'occasion pour plusieurs mélomanes de pouvoir le rencontrer mais aussi c'a été une belle opportunité pour eux d'exprimer toute la sympathie et l'amour qu'ils ont pour l'artiste.
Bravo pour Hervieux, et pour Archambault qui ont permis ce rapprochement, d'autant plus que l'agenda de l'artiste se trouve si achalandée ces derniers temps.

dimanche 14 novembre 2010

More Hispano Yr a oydo

More Hispano, Yr a oydo.
Vicente Parrilla, dir.
Carpe Diem 16279.

Si vous cherchez un son tout à fait original, et une conception bouleversante dans un disque avec des musiques de la renaissance espagnole, il faut que vous écoutiez cet album.
Vicente Parrilla, flûtiste à bec et direction s'est entouré d'un ensemble magnifique de musiciens pour recréer des airs et des danses de cette période, en utilisant l'improvisation pour développer les idées thématiques.
L'improvisation était une pratique très répandu à l'époque dans la musique quotidienne de la renaissance. C'était la façon de faire prolonger les pièces, que si non, elles était en général de courte durée. Tous les musiciens à l'époque savaient improviser et cet art formait une partie essentielle de leur formation.
Cet album est non seulement une belle façon pour nous de connaitre ce noble art, mais aussi l'opportunité de découvrir comment jouait-on de la musique à l'époque de la renaissance espagnole, peut-être une des plus grandes périodes de la musique ancienne.

Ce disque est leur deuxième après une période de onze année de concerts et tournées, où surement beaucoup de ces pièces ont été jouées.

Yr a oydo est formé par:

Vicente Parrilla flûtes à becs et direction
Raquel Anduezza soprano
Fahmi Alqhai viole de gambe
Jesús Fernández lute et théorbe
Javier Núnez clavecin
Álvaro Garrido percussion.

Carpe Diem 16279 More Hispano, Yr a oydo (aller par coeur.)

lundi 23 août 2010

Hector Berlioz Symphonie Fantastique

Hector Berlioz (1803-1869)

Symphonie fantastique, op 14

Le Roi Lear (Ouverture), op. 4

Orchestre symphonique de Pittsburgh

Marek Janowski. Pentatone PTC 5186 338

SACD hybride. Durée : 66 min. 22. Enregistré en novembre 2009.

Distribué au Canada par Naxos


1830, année révolutionnaire pour la France dont le paysage culturel fut projeté irrévocablement dans le Romantisme. Dans une même année éclata le scandale du drame Ernani de Victor Hugo, Lamartine fut élu à l’Académie française quoique non sans difficulté, le public découvrit la célèbre toile La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix et assista à la première de la Symphonie fantastique (ou Épisode de la vie d’un artiste) de Berlioz. Dans son Histoire du romantisme, Théophile Gautier écrivait à propos de cette génération dite de 1830 : « Une sève de vie nouvelle circulait impétueusement, tout germait, tout bourgeonnait, tout éclatait à la fois … L’art se renouvelait sur toutes ses faces; la poésie, le théâtre, le roman, la peinture, la musique formaient un bouquet de chefs-d’œuvre. »


Inutile d’insister sur l’importance historique de cette symphonie délibérément à programme autobiographique (dont le texte de l’argument devait être remis aux auditeurs car « indispensable à l’intelligence complète du plan dramatique » selon les propos du compositeur). Le très grand nombre de versions endisquées en fait foi. Sa structure en cinq parties, parcourue de part en part d’une « idée fixe », image de la bien-aimée présentée en diverses variations, bousculait les normes auxquelles étaient familiers les habitués des concerts symphoniques (Rêveries-Passions; Un bal; Scène aux champs; Marche au supplice; Songe d’une nuit du Sabbat, cette dernière indiquant des sous-scènes concluant l’œuvre : Dies irae, Ronde du sabbat, Des irae et ronde du sabbat ensemble).


L’instrumentation et effets orchestraux fourmillaient de sonorités inédites pour les auditeurs qui étaient encore subjugués par les symphonies de Beethoven et les opéras italiens. Il fallait que Berlioz trouve des solutions originales pour sortir les compositeurs de cette génération de l’immense torpeur créée par les sommets vertigineux du maître vénéré de Bonn; on n’a qu’à se rappeler les longues hésitations de Brahms avant d’accoucher de sa première symphonie.


Berlioz réussit, grâce à cette œuvre toujours d’une fraîcheur vivifiante et écrite en seulement trois mois (!), à s’imposer comme brillant illustrateur musical et personnalité créatrice audacieuse. Je pense notamment à la dissonance des quatre timbales pour évoquer le fracas lointain du tonnerre, aux huit divisi des violons et altos ouvrant le mouvement du Songe d’une nuit du Sabbat, au glissando de la clarinette en mi bémol et aux cordes frottées par l’archet pour représenter les personnages typiques du romantisme noir, mais aussi à la sublime sobriété de la coda marquée Religiosamente, apaisement final d’un épisode passionnel soumis aux « mouvements de fureur, de jalousie », à l’atmosphère voluptueuse d’une scène de bal animée d’une valse se terminant dans une frénésie enivrante, au contrechant d’un hautbois hors-scène dialoguant dans le lointain d’un soir en campagne. Tant d’images parmi d’autres si délicieuses pour les mélomanes de notre siècle mais qui ont dû vivement surprendre ceux de 1830 !


Bien qu’il existe déjà plusieurs enregistrements qui font autorité, celui-ci détient une place respectable au statut de référence tant l’interprétation est à la hauteur des ambitions du compositeur et la sonorité merveilleusement dévoilée par la qualité de l’enregistrement. Les contrastes parfois très subtils reçoivent le relief approprié pour les nuances expressives que ce soit pendant les effets d’ensemble ou pour éclairer le contour d’instruments qui doivent se distinguer de la masse (écoutez attentivement les solos marqués pppp de la flûte et de la clarinette à partir de la mesure 118 de la Scène aux champs). Tout est rendu avec une souplesse magistrale qui nous laisse avec le souvenir d’une narration musicale impérissable, sinon avec le désir de la ré-entendre aussitôt.


Contrairement à ce que pourrait laisse croire son numéro d’opus, l’ouverture du Roi Lear a été composée en 1831 et, tel que le note Ronald Vermeulen dans le livret du disque, « suit à la lettre le déroulement de la pièce de théâtre de Shakespeare ». Elle complète fort bien le programme car l’inspiration mélodique et dramatique ne s’était point épuisée après l’énergie requise pour réaliser quelques mois auparavant le chef-d’œuvre de la Symphonie fantastique qui avait mobilisé autour de 130 musiciens lors de sa création et qui avait certainement contribué à l’euphorie dont témoignait Théophile Gautier.


Guy Sauvé

Août 2010


lundi 21 juin 2010

Ne mortem timueritis


Deux petits trésors pour les amateurs de musique de la renaissance.

L'étiquète Ars Musici nous présente deux albums dédiés au compositeur flamand Jacobus Vaet, interprétés par l'ensemble Dufay
Vaet a vécu à la même époque que Palestrina et Lassus, mais sa vie fut malheureusement trop brève, (1529-1567).
Le premier volume est composé de pièces à caractère funèbre, puisque le morceau central est une messe pour les défunts, complètée de six autres motets, ou l'on peu avoir un aperçu des qualités techniques et expressives de ce compositeur.
Le tout dans le style typiquement polyphonique de la renaissance, en poursuivant une lignée de requiems qui commença avec ceux de compositeurs plus connus comme Dufay, Ockeghem, De la Rue, et qui nous mènent jusqu'a Lassus.
Le deuxième album nous présente un Te Deum à huit voies, qui pourrait se considérer comme un sommet du genre. Il reflète une certaine
influence vénitienne des pièces composées pour double chœur. Sa densité et son travail polyphonique sont d'une grande subtilité, très proche du style de Palestrina, et feront présager les oeuvres de la prochaine génération comme Monteverdi et Gesualdo.
Une ligne aussi pour souligner l'exceptionnelle qualité de l'ensemble Dufay, composé de huit chanteurs masculins, qui travaillent dans le sud de l'Allemagne, d'où ils ont réalisé trois albums pour Ars Music.

Ars Musici 232354 Jacobus Vaet vol 1
Ars Musici 232392 Jacobus Vaet vol 2
Ensemble Dufay.
"Ne craignez pas la mort"

samedi 19 juin 2010

Gaïtani le trio Tzane ou la rencontre de trois femmes


Superbe nouveauté de Naïve pour le mois de juillet. C'est toute une découverte que ce petit bijou réalisé à Paris nommé Gaïtani, et qui représente l'aboutissement d'une rencontre parisienne de trois femmes venant de différentes nationalités. Effectivement le trio Tzane formé par Gül Hacer Toruk (Turquie), Xanthoula Dakonavou (Grèce) et Sandrine Monlezun (France), chante des polyphonies non seulement à la manière de leurs ancêtres, mais aussi avec des improvisations donnant une saveur différente à leurs arrangements vocaux.
Les mélodies sont prises du folklore balkan, une des zones les plus riches en matière de chanson et musique populaire d'Europe puisqu'elle se trouve dans la croisée des chemins qui uni l'orient et l'occident. Zone qui a été fréquentée par des musiciens comme Bartok et Kodaly, au cours de leurs voyages d'enregistrements de mélodies populaires.
Dans ce disque on peu découvrir des chansons bulgares, avec leurs rythmes et polyphonies très particulières, des mélodies traditionnelles grecques chantées à la façon de différentes régions et aussi des airs turcs donnant place à l'improvisation et richement ornementés.
Aux excellentes voix ce joint un groupe de musiciens permettant le contraste nécessaire et assurant l'accompagnement rythmique dans certaines des chansons.
Un disque à découvrir, pour voyager dans une région qui a été un territoire convoité par de nombreux empires, un must de cet été.

Gaïtani
Naïve V5230

vendredi 4 juin 2010

Deux pianistes, le même concours.


Yundi Li, Quand la Chine s'éveillera...
20 ans après le passage d'Isaac Stern en terre chinoise - voyage très bien documenté dans le beau film "De Mao à Mozart" - voilà que ce pays produit un coup d'éclat en musique classique occidentale: Yundi Li remporte le premier prix au concours Chopin de Varsovie, en l'an 2000.
Il a fallu au moins une vingtaine d'années pour que la Chine puisse surmonter la fin de sa révolution culturelle, avec des artistes de grand niveau et ce qui est certain , c'est qu'elle est bien intégrée dans notre système culturel, en produisant des musiciens d'une telle qualité.
Dans ce très beau DVD, on peu apercevoir le parcours de Yundi Li, depuis ses toutes premières leçons de musique, jusqu'a son présent de grande vedette de la musique en Chine et dans le monde. Ce qui m'a frappé le plus dans sa façon de voir la culture, c'est sa participation dans un concert rock du chanteur taiwanais Jay Chou, où il a été invité à partager la scène devant des milliers de jeunes qui surement ont bien aimé écouter un peu de musique classique."C'est une belle expérience pour moi, ce sont des jeunes, c'est le futur." Yundi dixit.
Le DVD nous offre cinq bonus très intéressants: les scherzos de Chopin et une étude de Liszt, enregistrés au cours d'un concert de Yundi Li à la Roque d'Anthéron en 2004
The Young Romantic
Euro Arts 3079058

Ivo le pianiste qui n'a pas joué en finale.
Un an après qu'Isaac Stern se trouve en Chine en tournée éducatrice, un événement particulier se produisit au concours Chopin de Varsovie, plus précisément en 1980. Un des pianistes de ce concours n'était pas accepté en finales. Son nom: Ivo Pogorelich. À l'époque ce jeune Serbe avait commencé à éblouir les oreilles mais aussi les âmes des jurés des concours de Casablanca en Italie et le Concours de piano de Montréal, mais voici qu'un événement dramatique se joua à Varsovie. Un des membres du juré d'évaluation, signe son opposition à la décision de ne pas laisser accéder Pogorelich aux finales, et renonce comme juré. C'était Martha Argerich. Il a suffit de cela pour que la carrière internationale de Pogorelich commence et p
eu après il débute au Carnegie Hall de New York.

Voila l'occasion d'écouter le meilleur Pogorelich jouant des oeuvres qui lui sont très chères, comme la sonate en sib mineur de Chopin, la dernière sonate de Beethoven et des pièces de Scriabin.
La production semblerait un peu statique
pour un DVD,
mais écoutez la
musique,
car c'est là que tout se passe,
c'est à travers le son qu'on voyage.

Ivo Pogorelich
Cmajor 701308


lundi 17 mai 2010

Louis Spohr


Louis Spohr (1784-1859)

Concertante pour 2 violons et orchestre no. 1, op. 48
Concertante pour 2 violons et orchestre, no.2, op. 88
Duo pour 2 violons, op. 3, no. 3

Henning Kraggerud, violon
Oyvond Bjora, violon
Oslo Camerata et Orchestre de chambre Barratt-Due
Stephan Baratt-Due, chef

Naxos 8570840


Dans sa biographie consacrée à Spohr (Eds. Papillon, coll. Mélophiles, Genève 2006), la musicologue Hélène Cao écrit : « La musique de Spohr reflète ce passage du classicisme au romantisme, tout en résistant aux classifications expéditives : si l’influence de Haydn et de Mozart restera longtemps perceptible, son langage s’émancipe rapidement de celui de ces deux modèles; en même temps, il ne correspond pas à l’idée « progressiste » qu’on se fait du romantisme. De là vient en partie l’oubli dans lequel Spohr est tombé car la postérité aime à ranger les artistes dans des cases soigneusement étiquetées et ne garde la mémoire de quelques figures emblématiques. »

Depuis l’année où ce livre a été publié, on peut dire que l’édition discographique a largement contribué à réhabiliter un des musiciens les plus actifs de la première moitié du dix-neuvième siècle. À ce jour, des quelque 300 œuvres que l’on a répertoriées, on a maintenant enregistré ses 18 concertos pour violon et orchestre, ses 10 symphonies, ses 4 concertos pour clarinette, ses 5 trios avec piano, ses 7 quintettes à cordes, ses 4 double quatuors à cordes, de la musique de chambre pour grand ensemble (septuor, octuor et nonette) et presque toutes ses ouvertures.

Bien qu’il reste encore bon nombre d’opus à enregistrer, notamment ceux qui comportent des combinaisons instrumentales plutôt originales pour l’époque, on peut supposer que plusieurs autres albums viendront sous peu ajouter leurs pierres à l’édifice d’une œuvre monumentale. Il était grand temps que l’ombre du grand Beethoven sur ses contemporains se dissipe peu à peu.

Devant un choix déjà assez vaste, les deux concertantes (ou concertos) pour deux violons offertes ici s’avèrent un bon choix pour le mélomane qui souhaite s’initier à ce compositeur qui exprimait sans gêne, notamment dans son autobiographie, sa déception envers la superficialité des amateurs et la complaisance de certains compositeurs. Bien sûr, pour l’apprécier à sa juste valeur, il faut accorder notre écoute dans la perspective du répertoire de la première moitié du XIXème siècle et non pas avec les Brahms, Liszt, Wagner et leur suite mais plutôt dans la lignée des Weber, Mendelssohn, Rossini, Paganini par exemple.
Des deux Concertantes, je préfère la deuxième. Dans les deux cas, Spohr fait preuve d’une verve mélodique indéniable, d’une originalité technique (« qui devait rapidement lui valoir une réputation d’égal de Beethoven », selon Hartmut Becker) et d’une virtuosité éblouissante. Mais il concède l’écriture brillante de la première mouture au profit d’une maturité d’expression et d’un équilibre formel plus satisfaisant dans la seconde. Je pense notamment au troisième mouvement où l’atmosphère chaleureuse de l’accompagnement orchestral se conjugue fort bien avec le caractère décidé du thème.

J’ai eu l’occasion de comparer cette interprétation avec celle enregistrée sept ans plus tôt, en 2001 chez CPO (999798-2 avec les solistes Ulf et Gunhild Hoelscher). Alors que ces derniers jouent tellement de prudence que le tempo s’en ressent au point d’en être appesanti dans les deux œuvres, ils n’évitent pas pour autant les fréquents problèmes d’intonation; l’intention est honnête mais ne parvient pas à convaincre. Avec les solistes choisis chez Naxos, on admirera la fraîcheur, voire même le goût du risque, qui laissent le mélomane admiratif devant tant d’audace. À part le premier mouvement de la Concertante no. 1 qui, dans les deux versions, met en évidence les écueils périlleux (bien avant que soient publiés les caprices et concertos de Pagnini), les solistes norvégiens se tirent nettement mieux d’affaire et nous parviennent dans tous les autres mouvements à une réussite qui mérite d’être soulignée.

Le Duo, composé en 1803 et d’une durée de près de dix minutes, comporte sept sections brèves qui démontrent la variété d’idées motiviques dont était capable le compositeur –pédagogue. Les étudiants auront intérêt à pratiquer cette étude, un beau complément de programme qui ne sombre pas, loin de là, à la sécheresse académique.

Guy Sauvé
Mai 2010

dimanche 7 mars 2010

Felix Weingartner, compositeur et chef d'orchestre.


Felix Weingartner (1863-1942)
Concerto pour violon, op. 52
Schubert : Symphonie (no 7), D 729, arrangée
par Felix Weingartner d’après
les fragments et l’esquisse
Laurent Albrecht Breuninger, violon
SWR Rundfunkorchester Kaiserlautern
Alun Francis, chef
CPO 999 424-2



La carrière de Felix Weingartner, né en Autriche, comporte essentiellement deux volets : chef d’orchestre et compositeur, les deux ayant démarré la même année, 1884, avec la création de son premier opéra Sakuntala, et l’obtention du poste de direction de l’orchestre de l’opéra de Königsberg. En examinant le nombre d’œuvres d’envergure qu’il a écrites (9 opéras, 7 symphonies, 5 quatuors à cordes, poèmes et ouvertures symphoniques, un octuor, un sextuor, etc), on a raison de se demander laquelle de ces occupations a pris le plus de place dans sa vie.
Heureusement pour le mélomane curieux d’apprécier les perles rares du post-romantisme, la firme CPO a déjà produit près d’une dizaine de disques de musique symphonique et de chambre, de sorte qu’on peut maintenant se faire une bonne idée de son talent de compositeur. Le présent disque sort des sentiers en proposant pour la première fois à son catalogue un concerto et un arrangement.



Le concerto en trois mouvements pour violon et orchestre op. 52, créé en 1912 par un Fritz Kreisler à l’aube de sa célébrité, démontre une maîtrise de l’écriture pour l’instrument rivalisant de virtuosité et de cadences redoutables avec les autres concertos fermement établis au répertoire. On retrouve par moments l’opulence brahmsienne dans le premier mouvement, des passages tantôt suaves tantôt pétillants dans le deuxième, un thème enjoué dans le troisième tout en bravoure, intitulé « Caprice savoyard ».
L’interprétation de Laurent Albrecht Breuninger, gagnant de plusieurs prix dont un lors d’une compétition internationale de violon tenue à Montréal en 1995, est à la hauteur de la commande fort exigeante. Lors de bref épisodes de quelques secondes, la masse orchestrale écrase la partie soliste, mais cela compte peu en regard des pages héroïques brillamment défendues par le soliste.



Allons à Schubert. Les mélomanes désirant acquérir une « intégrale » des symphonies de Schubert doivent regarder attentivement le contenu des boîtiers car, dans la grande majorité des cas, il y a un trou béant entre la sixième et la huitième. Où est donc passée la septième ? Elle existe pourtant même si Schubert ne lui a pas attribué de numéro. Il avait, contrairement à d’autres esquises ou autres oeuvres du genre demeurées inachevées, apposé la mention Fine, dignement calligraphiée, au terme de quatre mouvements, des quelque 1350 mesures, toutes bel et bien « barrées ».



Le hic : seules les cent dix premières mesures comportent l’orchestration complète. Tout le reste est noté jusqu’à la fin par des lignes mélodiques accompagnées de basses, soit aux premiers violons, soit aux instruments à vent (seul ou en groupe) prenant le relai. Selon Sir George Grove qui reçut le manuscrit entier en 1861, « chaque mesure est inscrite, les tempi et les noms des instruments sont écrits au début de chaque mouvement, toutes les nuances sont indiquées .»


La tentation de compléter l’orchestration, de remplir les cases laissées ouvertes de cette symphonie tien au fait qu’elle représente un moment charnière dans l’évolution de Schubert. Pour la première fois, il utilise trois trombones et quatre cors, sacrifie la reprise de l’exposition, développe cette dernière au cours de trois tonalités, manifestant ainsi le besoin de se démarquer définitivement des influences de Mozart et de Haydn, de s’engager dans une voie nettement plus personnelle.



Trois musiciens ont donc cédé à cette tentation. Il y eût d’abord John Francis Barnett en 1883 mais il ne subsiste maintenant que la réduction pour piano. Ensuite, il y eût Weingartner. Finalement, le musicologue Brian Newbould qui bénéficie de la plus grande diffusion, notamment avec la version de Sir Neville Marriner dans un coffret de six cds parus chez Philips (Dix symphonies et les deux esquisses D 615 et D 708a), la belle version de Charles Mackerras sur Hyperion (un cd, avec la 10ème et les deux esquisses) et son orchestration de la septième, enregistrée isolément chez Koch Schwann-Musica Mundi avec Gabriel Chmura.


Entre les versions Newbould et Weingartner, il y a des différences d’instrumentation et de textures polyphoniques très significatives qu’il serait trop long d’exposer dans cette chronique. Chaque version ayant ses mérites propres, seule une question de goût déterminera la préférence de chacun pour l’une ou pour l’autre. Pour ma part, l’exercice de comparaison en vaut la peine.

J’apprécie davantage à la pudeur musicologique les audaces instrumentales plus imaginatives, les contrepoints plus denses, les textures plus riches de Weingartner. C’est bien tout son métier de compositeur qui vient donner ici une dimension dramatique attachante. Brahms, « tremblant qu’un arrangeur anglais ne fasse une obscénité » (Massin) à partir du manuscrit alors déposé à la bibliothèque du Royal College of Music de Londres, peut maintenant dormir en paix.

Guy Sauvé
Mars 2010

vendredi 15 janvier 2010

Luminosa Buenos Aires

Luminosa Buenos Aires
Astor Piazzolla
Maximo Diego Pujol
Giampaolo Bandini, guitare
Cesare Chiacchiaretta, bandonéon
Orchestre de chambre I Musici di Parma
Cd Concerto cd2052
Quelle est la force et l'attrait du tango pour que ce soit une musique tellement jouée, enregistrée, bref, captée par tant de musiciens? Et bien simplement parce qu'il est la dernière des grandes danses urbaines dites « classiques » cela veut dire écrites sur une partition. Une lignée qui nous vient du XIX siècle, après la valse, l'autre danse classique, elle aussi écrite, elle aussi urbaine, mais par contre, jouée dans des salons aristocratiques,et qui c'est répandue partout.
La génialité du tango, a été de mêler la musique savante dans un contexte populaire. Évidement cela a été possible non seulement grâce aux musiciens de talents, mais aussi aux grands écrivains qui ont fourni des paroles et des textes de premier ordre, étudiés dans bien des classes de littérature de certaines grandes universités. C'est le cas du disque qui m'occupe ici, joué admirablement par deux musiciens italiens d'exception, Giampaolo Bandini à la guitare et Cesare Chiacharetta au bandonéon, très bien accompagnés par l'orchestre I Musici de Parma.
En fait il y a un lien subtil entre les italiens et le tango, quelque chose d'inexplicable fit qu'une grande partie du renouvellement du tango en Argentine a été accompli par des musiciens dont leurs ancêtres venaient de la péninsule. C'est le cas du grand Astor Piazzolla, peut-être le dernier de cette lignée de compositeurs, qui a su transcrire dans ses partitions tout le mystère d'une ville comme Buenos Aires. Et il fit en musique ce qu'un grand écrivain russe conseilla de faire en lettres: "décris ton village et tu seras immortel". Et bien Piazzolla c'est Buenos Aires., et tout porteño versera inexorablement une larme en écoutant sa musique n'importe où dans le monde.
Pour commencer un classique, "Les quatre saisons « porteñas »" (de Buenos Aires), suite de concert qui fit connaître Piazzolla partout, et devenir ainsi le compositeur argentin le plus joué au monde. On a également la possibilité de découvrir dans ce disque une belle œuvre du compositeur Maximo Diego Pujol, "Luminosa Buenos Aires", ou l'on peut apprécier toute sa créativité dans la description sentimentale de cette ville.
Le tout fini avec le double concert de Piazzolla « Hommage à Liège »
Petit bijou qui fera les délices des connaisseurs, ou qui comblera l'intérêt de ceux qui voudront s'initier à cette musique, mais pour ces derniers, voilà mon conseil: faites attention le tango est comme une drogue, une fois qu'on y goûte...
Concerto cd2052
Philippe Adelfang

lundi 4 janvier 2010

Joseph Holbrooke (1878-1958)

Amontillado (ouverture), op. 123 (1936)
The Viking (poème symphonique), op. 32 (1899)
Three Blind Mice (variations symphoniques), op. 37, no. 1 (1900)
Ulalume (poème symphonique), op. 35 (1903)
Brandenburgisches Staatsorchester FrankfurtHoward
Griffiths CPO 777442-2
Le label CPO continue de surprendre les mélomanes cette fois avec un disque entièrement consacré au compositeur britannique Josef Holbrooke, un contemporain de compatriotes plus célèbres comme Sir Granville Bantock (1868-1946), Ralph Vaughan Williams (1872-1958), John Ireland (1879-1962) et Arnold Bax (1883-1953).
Un examen du catalogue de ses oeuvres nous indique qu'il fut prolifique: huit symphonies, sept concertos (dont deux pour le piano, et un quadruple concerto), cinq ballets, de la musique de chambre en abondance mais surtout plus d'une trentaine de poèmes symphoniques presque tous inspirés par Allen Edgar Poe, bien connu pour ses nouvelles fantastiques, fleurons du romantisme noir.
La discographie est encore bien mince en regard d'un corpus aussi profus et je m'étonne que des labels britanniques aussi prestigieux que Chandos et Hyperion aient si peu exploré ce filon, eux qui ont déjà tant fait pour nous faire connaître le patrimoine musical de leur nation.
Après avoir savouré l'excellente prestation offerte par Howard Griffiths et un orchestre qui ne manquera sûrement pas de nouveaux contrats, il est clair que les lacunes discographiques devraient être graduellement comblées dans les prochaines années. Ce premier enregistrement de CPO dédié à ce compositeur injustement méconnu nous révèle un talent remarquable pour rendre des atmosphères frissonnantes, des clairs-obscurs troublants, des moments d'intensité dramatiques efficaces sans pour autant verser dans la caricature ou les clichés surannés.
Holbrooke possède une palette orchestrale absolument étonnante dont toutes les oeuvres de ce disque font la démonstration éloquente et je comprends mal la pudeur qui a amené CPO à ne pas imprimer sur la page de couverture du livret le titre des variations symphoniques sur la célèbre comptine Three Blind Mice . Il n'y aurait eu aucune honte à cela, bien au contraire, puisqu'au cours de ces vingt variations, Holbrooke fait la preuve (par 20 !) de sa pleine maîtrise des combinaisons de timbres, de son sens raffiné des coloris, de la profusion d'idées expressives où l'humour (citation de For he's a jolly good fellow) côtoie parfois le mystère le plus inquiétant (vers 11 minutes 46).
Quant aux autres oeuvres, inspirées par Poe, c'est toute la dimension picturale, illustrative qui met en valeur de manière convaincante son génie dans le genre du poème symphonique et, ce, jusqu'à ce qu'on ait enfin la chance de le découvrir dans d'autres genres tels que la symphonie, le concerto et la musique de chambre. Avis aux producteurs !
J'ai cherché à comprendre pourquoi le chef Dimitri Mitropoulos l'a surnommé le "Berlioz anglais" considérant que la comparaison est mal ajustée selon une perspective chronologique. Jusqu'à quel point Holbrooke était-il aussi innovateur que Berlioz par rapport à son époque ? Est-ce que d'autres compositeurs britanniques seraient de meilleurs candidats à cette épithète ? Cela doit être discuté au-delà du seul intérêt qu'Holbrooke portait au poème symphonique et de son habileté indéniable pour la caractérisation instrumentale des personnages et des climats. Chez Holbrooke, il est facile de reconnaître des allusions au style de divers compositeurs tels que Tchaikovsky, Mussorgsky, Liszt, Wagner, Sibelius, Debussy (et j'en passe). On doit répondre à ces questions avant de soutenir une telle comparaison.
Ce qui compte le plus à mon avis, c'est d'apprécier un autre de ces grands talents dont les deux grandes guerres ont éclipsé la renommée. Dans ce superbe enregistrement, admirablement servi par des musiciens sincèrement dévoués, on peut se délecter à souhait des multiples nuances suggestives qui vont de l'humour grinçant au lyrisme d'un amour passionné, du funeste crépuscule à l'agitation des vagues ou d'une humeur psychotique, de l'anticipation dramatique à une culmination intense des émotions. De plus, le livret est, comme de coutume chez CPO, généreux, très riche d'information.
C'est avec grande hâte que j'attends de nouveaux enregistrements des oeuvres de ce compositeur. Le choix est si vaste que les prochains ne sauraient nous décevoir.
Guy Sauvé Janvier 2010